Histoire
Nous sommes en 1844. La commune comptait environ 790 âmes. Guère plus qu’aujourd’hui. Les maisons étaient moins nombreuses, les routes poudreuses et caillouteuses. On se déplaçait à pied la plupart du temps.
Il n’y avait ni électricité ni eau courante.
Et pourtant, bien que vraisemblablement pas assez riche pour rêver, la commune va se doter d’un orgue. A quels sacrifices a-t-elle consenti pour rassembler les fonds nécessaires à ce projet ?
Elle fait appel à un artisan natif de Gênes, arrivé en 1830 à 23 ans en Balagne, Luigi De Ferrari.
Issu d’une longue et grande lignée de facteurs d’orgues ligures, il est allé tenter sa chance en Corse.
Il a déjà construit 13 instruments un peu partout dans l’île et jouit d’une bonne réputation jamais démentie.
Il a vraisemblablement construit l’orgue sur place. C’est en tout cas ce que laisse penser l’étiquette manuscrite qu’il appose au fond du sommier : … me fece in Pietra Corbara li 5 Giugno 1844.
On peut supposer qu’il n’a pas construit le buffet mais que c’est un artisan local qui s’en est chargé. En effet, il n’est pas de la même facture que la partie instrumentale qu’il abrite.
L’orgue va ainsi ponctuer les grandes et petites heures de la vie du village.
Il connaît un relevage en 1880, effectué par Antonio De Ferrari le neveu du premier, intervention de piètre qualité.
Dans un passé plus proche…
Certains Corbarais s’en souviennent encore très bien, cet orgue a fonctionné jusqu’à la fin des années 1950.
Ils gardent en mémoire Madame Sarocchi qui, tous les dimanches, à l’occasion de toutes les fêtes, a tenu cet orgue durant de longues années.
Tous ont évoqué le souffleur, Monsieur Franceschi de Cortina, plus connu sous son surnom de Bastianu u Cecu ( Bastien l’Aveugle ).
Puis l’orgue s’essouffle de plus en plus et finit par s’éteindre, sinon s’endormir, telle la Belle au bois dormant, attendant le baiser qui le réveillera.
Le manque d’artisan capable, une vie économique plus difficile, l’émigration des Corses vers un ailleurs meilleur. N’oublions pas que, en 1960, Pietracorbara ne compte que 230 personnes permanentes.
Recouvert chaque an un peu plus par les déjections des chauves-souris, grignoté patiemment par des générations de rats, l’orgue se meurt lentement mais sûrement.
La restauration
Plusieurs maires ont déploré cet état de fait et ont songé à une éventuelle restauration.
Le premier devis fut demandé par Monsieur Félix Jassois qui fut maire de 1989 à 1998. C’est dire comme cette idée n’est pas nouvelle…
C’était un projet auquel son successeur, Jean-Claude Galletti, tenait fort. Il en parlait souvent à son adjoint aux travaux… qui n’est autre que le maire actuel, Alain Burroni.
En 2021, la Municipalité décide donc d’enrayer ce désastre patrimonial. Elle confie les travaux à un facteur d’orgue installé à Cervioni, ayant déjà à son actif plusieurs restaurations et relevages appréciés et reconnus dans toute la Corse.
Les travaux débutent le 22 janvier 2020 et s’achèvent le 2 février 2022. Leur réception officielle par le maire et les élus a lieu le 24 février.
La partie instrumentale est entièrement démontée et emportée dans l’atelier du facteur en Costa Verde pour y être restaurée, pièce par pièce. Les deux derniers mois de décembre et janvier voient le remontage s’effectuer.
Les pièces disparues de l’orgue d’origine sont remplacées à l’identique, en particulier les deux grands soufflets cunéiformes, véritables poumons de l’instrument.
On peut désormais administrer le vent de deux façons : celle moderne grâce à un ventilateur électrique, l’ancienne en tirant alternativement sur les deux cordes assurant la remontée des soufflets par le truchement de deux poulies démultiplicatrices. C’est ce que faisaient les souffleurs qui ont laissé de nombreux graffitis sur le côté du buffet.
Les 12 jeux de l’instrument sont intégralement complétés et peuvent maintenant donner toutes les voix à l’orgue qui ne compte pas moins de 553 tuyaux !
Les matériaux qui le composent sont simples et connus : le bois (le châtaignier et le noyer), le plomb et l’étain pour la plupart des tuyaux, la peau de mouton, le laiton, le fer forgé, le cuir.
L’Art du facteur d’orgues est un art très ancien et n’a presque pas varié depuis la nuit des temps, que ce soit dans ses méthodes ou par son savoir-faire. Il porte à un haut niveau la définition de l’artisan : celui qui prend le risque d’accomplir l’œuvre unique.
Lorsqu’un orgue se tait c’est la voix d’un peuple qui s’endort.
Lorsque sa voix renaît, c’est ce peuple, force vive du lieu, qui se réveille et espère à nouveau.
Puisse notre orgue, restauré durant une sombre période de pandémie, être porteur d’espoirs !
Puisse-t-il apporter un plus, cultuel, culturel, social, convivial à notre village !