Chapelles de Pietracorbara : lieux de culte, lieux de mémoire
Huit chapelles s’étagent de la Marine à Lapedina, dernier hameau niché à 380 m d’altitude : Saint-Antoine (Marine), Saint-Léonard, Sainte-Catherine (Orneto), Saint-Antoine (Oreta, transformée en bibliothèque), Saint-Roch (Pietronacce), Saint-Césaire (Cortina), Saint-Guillaume (Lapedina suttana, en ruines) et Saint-Pancrace (Lapedina suprana). Ces lieux de culte, restaurés pour certains ou en projet de restauration, sont peu utilisés (on célèbre la messe une fois par an dans deux des cinq chapelles) et il est difficile d’y pénétrer en dehors du parcours proposé par l’association « Chemin de Lumière » qui organise la visite de cinq d’entre elles présentées ici. Profitez donc de la visite guidée pour découvrir ces lieux modestes et beaux, fruits de la foi et du travail des hommes (et des femmes), familles d’artisans, de paysans, de marins, de commerçants ou de propriétaires terriens qui ont élevé puis entretenu ces lieux de culte.
Saint-Léonard : boussole et symboles
La chapelle dédiée à saint Léonard –San Leonardu– (Léonard de Port Maurice, franciscain originaire des environs de Gênes, débarque à Bastia en 1744) a été construite vraisemblablement au XIXe siècle et restaurée en 2008. Elle est aujourd’hui posée au bord de la route départementale 232 à mi-chemin entre la plage et les hameaux mais elle est, en fait, au croisement de deux voies de circulation très passantes au XIXe siècle : le chemin partant des hameaux et conduisant à la Marine de Pietracorbara et la route qui conduisait jusqu’à Croscianu, hameau de Sisco et, de là, à Bastia. La bâtisse est petite et harmonieuse dans ses proportions. Un auvent en ciment, patiné par le temps, allonge le bâtiment et lui donne un aspect accueillant avec ses bancs de pierre placés des deux côtés de la porte d’entrée.
Le parvis possède, en son centre, une mosaïque en galets roulés. Ils indiquent, notamment, les quatre points cardinaux. La chapelle a une particularité : elle est orientée nord-sud (le célébrant regarde le nord). La pierre qui marque l’est -là où le soleil se lève, et, pour les chrétiens, la Lumière du Christ et la direction de Jérusalem- a été ramenée de Terre Sainte, de Nazareth précisément. Dans l’axe de la croix centrale, au nord et au sud, deux petits galets ronds proviennent du Lac de Tibériade. Au centre de la mosaïque, écrit en galets blancs « Je suis le chemin » tiré de l’Evangile selon saint Jean : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (chapitre 14, verset 6).
Le nez de marche du parvis est en schiste vert-bleu de Barrettali. La pierre provient de la carrière de Teghja Fosca (ardoise foncée), aujourd’hui désaffectée, de Petricaghju, le hameau d’arrivée du Chemin de Lumière. L’intérieur de la chapelle est sommaire. Un simple autel, deux niches latérales, une statue de saint Léonard : tout est ici sobriété, voire austérité, franciscaines. A noter le beau dallage en pierres de Brando avec la croix centrale qui, elle aussi, indique les quatre points cardinaux.
Sainte-Catherine : harmonie du hameau
Sainte Catherine d’Alexandrie –Santa Catalina– a un sanctuaire à l’Orneto. C’est une chapelle très ancienne : un document trouvé sur place fixe la date de la consécration du lieu à 1755. Dans la niche, à gauche de l’autel, se trouve une statue de la sainte destinée à être portée en procession. Il y a aussi une roue, allusion aux supplices qu’elle a subis. Le tableau au-dessus de l’autel représente le mariage mystique de la sainte. On y voit l’enfant Jésus lui passer un anneau au doigt. Sainte Catherine (morte en 310 et que l’on fête le 25 novembre) porte une palme, attribut du martyre. Le pavement de la chapelle est original. Il est composé de dalles d’ardoise de Gênes taillées en octogones et de cabochons de marbre blanc.
Sainte-Catherine, ouverte durant l’été, offre un havre de fraîcheur et permet le recueillement. Depuis juillet 2001 les animatrices de la chapelle proposent aux visiteurs de consigner leurs impressions sur un livre d’or. Ils viennent d’autres villages de l’île, du continent français mais aussi d’Allemagne, d’Italie, de Belgique, des Pays-Bas, de République tchèque, d’Angleterre, du Mexique, de Porto Rico. « Je découvre votre « pays », la Corse, depuis quelques jours et je vais d’étonnement en étonnement. Ce sont des instants de pur bonheur –très forts- de liberté qui monte à la tête et puis… de calme. J’ai l’impression que tous ces chemins que j’ai pris ces derniers jours me menaient en fait jusqu’ici, dans votre chapelle… » écrit Catherine, une bretonne.
La chapelle se dresse près d’une tour génoise du XVe siècle, non loin d’une placette et d’une grande maison de maître avec un beau toit à trois pentes. Avec des fours à pain dont certains sont restaurés et une fontaine jaillissante située à l’entour du hameau, l’Orneto possède tous les attributs d’un hameau capcorsin traditionnel.
Saint-Roch : beautés du baroque rural
La chapelle Saint-Roch –Santi Roccu– ne passe pas inaperçue : située à Pietronacce, elle est aussi la pointe haute de Selmacce, au bout d’une belle volée d’escaliers sous voûte. Saint-Roch trône à la croisée des chemins. Patron des bergers et des troupeaux, le saint est très populaire dans le bassin méditerranéen. Il existe par exemple, pour le célébrer, de petits pains ronds appelés « pains de Saint-Roch » qui sont bénis tous les 16 août lors de la fête paroissiale. Mais avant d’être dédiée à saint Roch, la chapelle avait un autre saint protecteur : saint Sébastien, connu pour protéger la population des mauvaises fièvres et, en particulier de la malaria.
Austère à l’extérieur, la chapelle est, à l’intérieur, d’une surprenante beauté. C’est un petit bijou de style « baroque rural » avec ses murs travaillés au pochoir, sa voûte en coffrage de bois, sa grille de chœur joliment ouvragée, son autel modeste mais bien proportionné et décoré avec application. Un émouvant tableau, de facture un peu brute, montre un saint Roch flanqué de son fidèle chien à la tête minuscule. A ses côtés, un saint Sébastien bardé de flèches et inspiré de Botticelli.
L’édifice a été agrandi en 1885 : la population des hameaux est, à cette date, en forte augmentation et des dispositions sont prises pour construire un nouveau chœur qui laisserait plus d’espace aux fidèles dans la nef. L’ensemble ne manque pas de grâce. Il est d’une beauté rafraîchissante, d’un luxe populaire.
Saint-Césaire : romane et jumelle
A Cortina, Saint-Césaire –San Cesario-, évêque d’Arles qui vécut au VIe siècle, a donné son nom à la plus ancienne des chapelles encore debout dans la vallée (1030). L’abbé Pierre Lhostis, qui s’est penché sur les différents édifices religieux de la commune dans ses « Bribes d’Histoire locale de 1100 à 1960 », présente cette chapelle comme le pendant de Saint-Michel de Sisco, posée sur un lieu escarpé afin de se défendre des incursions sarrazines et barbaresques qui ont dévasté le Cap jusque dans la première moitié du XVIIIe siècle. Saint-Césaire est orientée d’ouest en est. Geneviève Moracchini-Mazel, dans son ouvrage sur les églises romanes de Corse, insiste sur la gémellité historique et architecturale entre ces deux bâtiments. « On voit, écrit-elle, que toutes les pierres longues et minces sont taillées comme celles de San Michele de Sisco mais qu’elles ont été replacées tant bien que mal dans une réfection totale du mur maçonné en « terra rossa » ». La tradition orale rapporte que les deux sanctuaires dépendaient du curé de Sisco jusqu’au XVIIIe siècle.
Une pierre gravée, encore visible à droite de l’entrée principale indique la date du 26 mars 1472. Il ne s’agit pas de la date de la construction, mais de celle d’une plaque mortuaire que les maçons ont découverte dans une partie effondrée du bâtiment et qu’ils ont repositionnée sur le mur extérieur. L’intérieur de l’édifice, souvent remanié –l’abside primitive a, par exemple, disparu- a été totalement réaménagé au milieu du XIXe siècle et restauré selon les canons du style baroque. Quelques tableaux et ex-voto sont accrochés aux murs. Le bénitier à double vasque est une curiosité.
L’abbé Lhostis donne une indication précieuse : à la fin du XVIIIe siècle, 400 cierges étaient distribués (et vendus) aux paroissiens le 1er dimanche de Carême. De Saint-Césaire, on aimera aussi le toit moussu qui fait face à l’horizon et le clocheton bien conservé à la hauteur de la trouée bleue, entre ciel et mer. Pour avoir cette vision de la chapelle, il faut grimper sur le talus situé derrière le bâtiment.
Saint-Pancrace : « miracle » avant l’ascension
Tout en haut de Lapedina suprana se dresse, harmonieuse et fière, la chapelle de Saint-Pancrace –San Pancraziu-, jeune martyr de l’Eglise primitive. Il s’agit d’un lieu de culte très ancien lui aussi orienté ouest-est. Les croyants du Cap s’y rendaient en pèlerinage. Le bâtiment a été rénové dans les règles de l’art par l’Associu curbarese, une association implantée à Lapedina. L’abbé Lhostis (encore lui !) raconte un « miracle » qui se serait déroulé à Saint-Pancrace et dont on peut encore voir la trace sous la forme d’une béquille accrochée au fond de la chapelle : elle appartiendrait au maître ébéniste Giovanni, artisan remarquable qui vécut au XIXe siècle.
Il était paralysé des jambes et, un jour qu’il était à Saint-Pancrace pour superviser la pause d’une niche en bois monumentale, les ouvriers, pressés de se restaurer, l’oublièrent. « Le menuisier, se voyant abandonné, raconte Lhostis, prit ses béquilles, se traîna jusqu’à la porte péniblement, puis se dressa sur ses jambes paralysées, se mit à marcher aisément et, fou de joie, il rejoignit sa maison après avoir jeté ses béquilles dont il ne se servait plus ». Cette belle histoire a marqué les esprits de plusieurs générations de Corbarais. Demeure l’une des béquilles, accrochée au mur en signe de témoignage. L’autre béquille a brûlé au cours d’un violent incendie (1990) qui a détruit l’intérieur de la petite sacristie de la chapelle et son meuble entièrement sculpté.
Plusieurs peintures décoratives au pochoir ou au trait sont encore visibles derrière l’autel. L’ensemble atteste d’une richesse certaine de la communauté des Lapedinacci. L’autel lui-même a des proportions généreuses par rapport à la taille de l’édifice. Un très bel ostensoir doré (dans lequel on place l’hostie pour qu’elle soit adorée) témoigne de l’importance de ce sanctuaire. Saint-Pancrace est l’un des lieux les plus typiques et certainement un point de vue remarquable sur l’ensemble de la vallée.