Fontaines, convivialité et découverte
Les sources et les fontaines sont la richesse d’un village : elles étaient lieu de rencontre et de convivialité, elles sont aujourd’hui mises en valeur dans des circuits pédestres de découverte de la vallée.
Construites dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles ont été, pour les habitants, un immense progrès et un gain de temps important : elles ont rapproché l’eau des maisons avant que l’eau, un siècle plus tard, n’arrive directement dans les logis. C’en est alors fini des fontaines. Leur fonction principale disparaît. Subsiste encore, pendant une décennie, la tradition de l’eau fraîche pour le repas de midi ou du soir, cette eau que l’on va chercher sous la voûte et que l’on ramène dans une cruche, toujours la même, posée sur la table du repas familial. Cérémonial aimé des anciens -les grands-parents- qui commandent aux « petits » d’exécuter la « corvée » tandis que les parents préfèrent l’eau fraîche du réfrigérateur, symbole de modernité.
A Pietracorbara on compte cinq fontaines traditionnelles. Quatre ont été restaurées en 2007 par la municipalité et l’association Petra Viva, avec l’aide de l’Office de l’environnement de la Corse et grâce au programme européen Leader+.
Il existe aussi une « fontaine-source », celle du passatoghju (Lapedina), et plusieurs sources parmi lesquelles U Chiuselinu, U Lucu, A Mente, U Pinu.
La qualité de l’eau de ces fontaines n’est pas régulièrement contrôlée par un organisme de référence. Sa potabilité n’est pas formellement assurée. Les Corbarais la boivent sans façon. Il est vrai qu’ils sont « mithridatisés » après tant de litres bus sous ces voûtes depuis leur petite enfance !
Fontaine di u Ponte : sous le pont coule la source… Fontaine di u Ponte
Construite en 1893, la fontaine du Ponticello forme, avec le pont génois qui fait angle avec elle, un ensemble typique et charmant. Après avoir été, pendant un quart de siècle, laissé à l’abandon, la fontaine a retrouvé vie grâce à sa restauration (2007). La fontaine connaît un débit important jusqu’à l’été. L’eau est évacuée directement dans la rivière qui coule en contrebas et se mêle à l’eau des Fiumacci.
Sous le pont coulent la source et les… souvenirs : c’est en 1938 qu’est installée la fontaine du hameau (près de la croix, à la montée de l’Orneto). L’eau courante dans les maisons arrive dans les années 50. Jusque dans les années 60, les habitants vont encore chercher l’eau fraîche (de source) pour les repas à la fontaine traditionnelle. Les femmes les plus âgées se souviennent des attentes sous la voûte, le temps que les cruches se remplissent. Elles échangeaient les dernières informations du village ou celles du vaste monde parcouru par leurs fils, leurs frères ou leurs neveux, ces marins capcorsins que le voyage appelle.
Funtanella : éloge de la convivialité
La « petite fontaine » possède une particularité : elle est située plein sud. Elle est, aussi, à mi-chemin des hameaux d’Orneto et d’Oreta suprana. Elle a été aménagée dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les dates 1877 ou 1878 sont visibles sur le mur du fond. Deux élégantes niches encadrent la niche centrale qui est, en fait, l’accès à la citerne de recueillement de la source. Un homme de petite taille y pénétrait une fois par an pour la nettoyer et supprimer les racines qui obstruaient le bon écoulement des eaux. Sur la belle pierre (cipolin) des deux banquettes latérales (e spangette) des lettres ont été malhabilement gravées : DA à gauche, L-C, LD à droite. On raconte que les amoureux se retrouvaient là, sous la voûte, à l’abri des regards. Ils gravaient dans la pierre, côte à côte, l’unique lettre de leur prénom en guise de promesse. Les voûtes sont bardées de traits, de traces, de graffitis. Au-dessus du pilier est (à droite) il y a un petit carré constitué de huit trous de côté. Il s’agit de la trace d’un instrument de tailleur de pierres (le marteau à boucharder). La taille des pierres principales se faisait à la carrière mais elles étaient ajustées sur place.
A gauche de la voûte, sur le mur aujourd’hui refait, une lauze arrondie servait de banc aux porteuses d’eau qui attendaient que le broccu –le broc- ou le stagnone –le seau- se remplissent. Les ustensiles se portaient généralement sur la tête, ce qui donnait aux « transporteuses » un port de reine. Un laurier sauce hirsute fait face à la fontaine. En face, sur la seconde colline, on remarque un rocher plat posé comme une excroissance sur la ligne souple du paysage. C’est une sorte de table que les anciens appelaient « a merendiccia », lieu sur lequel on pouvait déjeuner en plein air (on ne parlait pas encore de pique-nique !). Cette fontaine est celle des habitants de l’Orneto qui venaient y chercher l’eau des repas et des tâches ménagères. Il faut imaginer, au dessus de la fontaine, un jardin fruitier, une vigne puis, comme aujourd’hui, des chênes liège qui bordaient le terrain. « Au-dessus de la fontaine, raconte Françoise Antoni, mon arrière grand-père, François Bartolomei qui était marin et revenait au village pendant ses permissions, avait installé une table en pierre. Quand les habitants du village venaient prendre de l’eau, il les invitait à l’apéritif, anisette ou vin local pour les hommes, grenadine pour les femmes. Il reprenait ensuite ses activités de jardinage. »
Funtana Landi : modeste et riche à la fois
Elle se niche entre deux collines, près d’un ruisseau et deux hameaux : l’Oreta et l’Orneto. C’est un lieu secret, presque sauvage. Un lieu riche en eau qui sourd de toutes parts des anfractuosités de la roche de la colline du Mulignascu. Et pourtant aujourd’hui, faute d’entretien, la fontaine construite sur une propriété privée est presque tarie. L’ensemble est modeste et richement doté à la fois.
Modeste : un simple mur percé d’une niche avec une auge en pierre taillée pour recueillir l’eau. Riche : une tête de faune, gargouille de bronze, étonnante en ce lieu. Elle est l’œuvre du sculpteur Pierre Gilod, restaurée en 2007 par son fils, Fabrice. Au-dessus de la tête, une date, 1961, tracée au doigt dans la chaux fraîche. Elle doit faire référence à la date d’aménagement de la fontaine quand celle-ci a pris sa forme actuelle.
Funtana Fresca : la fontaine des amoureux
La « fontaine fraîche » regarde l’est, la mer, l’île d’Elbe. Avec sa belle voûte intérieure à quatre pans et son ancien abreuvoir taillé dans la pierre, c’est la fontaine la plus aboutie et son charme est certain. « Je me souviens, raconte Jo Bartolomei, aujourd’hui disparu, que les vieux aimaient ce lieu pour sa fraîcheur, les soirs d’été. Il y avait, à gauche de la fontaine, un châtaignier énorme. On s’installait en dessous, assis sur une butte. Le mur actuel a été construit beaucoup plus tard.
Le soir les hommes s’y retrouvaient entre eux et racontaient leurs aventures galantes dans les pays lointains et les ports traversés (nombreux avaient été marins) ou parlaient de la guerre, la Grande, celle de 14-18 ». Plus tard, dans les années 50, les amoureux venaient, le soir, s’embrasser sous la voûte. L’eau courante arrive dans les maisons en 1947 mais la fontaine n’est pas délaissée pour autant pour l’eau à boire.
Funtana di Lapedina : la politique est sous la voûte
Il n’existe pas de traces précises concernant la date de construction de la fontaine de Lapedina. « On peut toutefois penser, estime Félix Giuliani, habitant du hameau et ancien maire de Pietracorbara, qu’elle a été élevée entre 1875 et 1900. Le projet de construction a d’abord achoppé sur la localisation de la dite fontaine. Au départ elle devait se situer en contrebas de Saint-Pancrace. Une sorte de plate-forme est encore visible sur un rocher à droite en montant (à 20 m de la chapelle). Mais ce projet était loin de faire l’unanimité. La municipalité de l’époque resitue le projet dans un autre lieu-dit déjà appelé « funtana » (parce qu’il existait sans doute à cet endroit un point d’eau). On ne lésine pas sur la construction : la fontaine est flanquée d’un lavoir sous voûte. A l’extérieur une autre arrivée d’eau permet de remplir les seaux. L’existence de cette fontaine change la vie des habitants. Avant on montait à la source des mele (réservoir actuel situé au-dessus de Lapedina suprana).
Seul incident notable : vers 1935 une branche de châtaignier tombe sur la voûte et la perfore. Au-dessous de la fontaine il y a des charbonnières pour faire du charbon de bois qui servent aux fourneaux des maisons. Il n’en reste plus trace aujourd’hui. Mais la fontaine vit une vie tranquille. On s’y rend, en moyenne, deux fois par jour et l’on en ramène, à chaque fois, deux seaux pleins à ras-bord. Le jeu consiste à renverser le moins possible d’eau. La fontaine est aussi lieu public. Certains s’en servent de dazibaos : « Fontaine, approche-toi : tu vois bien, nous sommes vieux » ou bien « habitants, réveillez-vous ! ». Ces derniers mots, écrits à la chaux blanche à l’intérieur, au-dessus du lavoir, sonnent comme un appel à la mobilisation. Après la Seconde Guerre mondiale le propos devient plus politique : la faucille et le marteau, le « soleil radieux » du socialisme font leur apparition. En 1953 l’eau courante arrive dans les maisons de Lapedina. C’est le début du déclin de la fontaine. Pour quelques habitants le lavoir sert encore jusque dans les années 70. Mais en 1973 il faut renforcer la voûte de l’édifice. Puis la fontaine est oubliée. En 2005 une partie de ses belles dalles polies par le temps est volée. En 2007 elle est totalement restaurée. L’eau, un temps perdue, est retrouvée, canalisée. Elle coule désormais comme au premier jour. Commence alors la deuxième vie de la funtana di Lapedina.